Thursday 2 October 2008

Femmes multiples

Les générations se succèdent mais ne se ressemblent pas. Aujourd’hui, en Belgique, la troisième génération de femmes (voire la quatrième) issue de l’immigration maghrébine prend sa place dans notre société. Comment vivent-elles leur culture multiple? Quel bagage leurs mères et leurs grands-mères leur ont-elles légué? Est-il adapté à la vie de ce début de troisième millénaire? Comment gèrent-elles leurs manques et leurs acquis? Comment conjuguent-elles leur besoin de retour aux sources avec leur volonté de se tourner vers l’avenir? Toutes ces questions méritent une tentative de réponse.

L’histoire des relations entre l’Europe et le Maghreb est longue et complexe. Les conflits ont commencé au XIXe siècle, pendant la période coloniale. La France, dans sa volonté de «civiliser» les peuples autochtones, n’a finalement suscité qu’amertume et ressentiment. Lorsque dans les années 50 et 60, la Belgique voit arriver son premier flux d’immigrés maghrébins, appelés pour travailler dans les mines encore productives mais sur le déclin, cette animosité ne s’est pas effacée. L’Européen, à leurs yeux, est un être dominateur aux moeurs –dans cette période de révolution sexuelle– légères et provocantes. Les mères éduquent leurs filles dans un conservatisme pur et une autorité plus aiguë que si elles étaient restées dans leur pays d’origine.

Les femmes sont arrivées en Belgique sous l’impulsion et avec la complaisance des autorités parce qu’il était préférable que le revenu des ouvriers puisse être réinvesti dans l’économie belge. L’ouvrier ou le mineur vivant seul n’a guère de «besoins» importants. Une fois le regroupement familial accompli, les femmes sont souvent isolées. Leurs maris partent tôt à la mine, d’où ils reviennent épuisés. Elles s’occupent du foyer, des enfants et du budget qu’elles gèrent avec beaucoup d’habileté. Ce sont donc souvent des femmes au foyer dévouées et altières, jusqu’à l’abnégation. Elles rêvent de voir leurs enfants réussir et acquérir un statut social supérieur au leur. Même si leurs filles reçoivent une éducation sévère et rigoureuse, elles souhaitent pour elles un destin plus prospère et une vie plus belle que celle qu’elles ont connue.

La majorité des premières arrivées ont enlevé le voile. Beaucoup ne le portaient pas dans leur pays d’origine et la plupart du temps, seules les veuves et les femmes âgées l’ont conservé. Nouzha Bensalah* dit à ce propos: «Les enfants de cette immigration ont vécu une accélération du temps». En effet, les parents sont généralement ouvriers ou mineurs, et leurs enfants quittent ce statut pour intégrer des secteurs auxquels leurs parents n’auraient jamais osé rêver. Les jeunes femmes de cette deuxième génération deviennent médecins, enseignantes, journalistes, sénatrices voire députées et revendiquent, de ce fait, leur double identité. Cela déroute parfois les mères qui ressentent à la fois un sentiment de peur et de fierté. Qui sont donc ces filles qu’elles ont élevées et qui se battent, au coude à coude, avec la gent masculine? Dans le même temps, et a contrario, certaines de ces jeunes filles de la deuxième génération décident de porter le voile que leurs mères avaient choisi d’ôter lors de leur arrivée en Belgique comme signe d’intégration, leur semblait-il…

Enlever le voile pour se fondre dans la masse

Certaines femmes issues de l’immigration expriment leur opposition à un certain système ô combien! dur par le port d’un signe ostentatoire: le voile. C’est ce qu’on peut remarquer auprès de certaines adolescentes dans les écoles de l’enseignement secondaire de la Communauté française. En colère contre la société, elles ont l’impression que des injustices sont commises contre les immigrés. Les adolescentes de la génération précédente, celles d’avant les années 1990, avaient d’abord le besoin de revendiquer leur «belgitude» aux regards de leurs parents. Leur combat était essentiellement «intramuros» afin de gagner autonomie et indépendance. Cette nouvelle génération d’adolescents (celle notamment de l’après 11 septembre 2001) voit son combat s’ouvrir sur deux fronts: revendiquer leur identité culturelle aux yeux de la société occidentale qui sombre dans l’amalgame et peine à comprendre les rites et traditions liés à l’Islam, et le besoin toujours présent de connaître une certaine «liberté» à l’occidentale. Un idéal et un équilibre auxquels aspirent beaucoup de jeunes femmes, à juste titre, nous semble-t-il.

Les femmes immigrées de la première génération portaient le voile (ou plutôt un foulard vaporeux) dans un contexte plus culturel que religieux. Le voile tel que porté aujourd’hui par certaines femmes (serré et souvent noir ou blanc) est une «mode» héritée de l’ère Khomeiny en Iran et instrumentalisée par certains mouvements postseptembre 2001 en réaction à l’amalgame «Islam-violenceextrémisme».

Les mêmes droits et les mêmes devoirs

Les jeunes issus de l’immigration, notamment la deuxième génération, éprouvent un vrai malaise face à la réalité sociale dont sont victimes leurs parents. «S’ils ont les mêmes devoirs, pourquoi n’ont-ils pas les mêmes droits?» Ces dernières années, la question des droits politiques à octroyer aux immigrés en Belgique n’a jamais été longtemps absente de l’agenda politique, pourtant la question n’a jamais été vraiment tranchée. Là aussi, beaucoup le ressentent comme une discrimination considérée comme une entrave supplémentaire aux efforts d’intégration.

En 1997, après la découverte des terribles affaires de pédophilie et la mise en avant de Nabila, soeur de Loubna Benaïssa, victime de Patrick Derochette, la société se sentait portée par le même élan de solidarité pour ces familles flamandes, wallonnes, italiennes et marocaines dont les fillettes ont été victimes de maltraitance sexuelle. Le débat sur le droit de vote des immigrés non européens était alors évoqué avec plus de conviction. L’été 1997 a vu la réouverture, dans des circonstances dramatiques, de ce débat mais n’a malheureusement pas abouti de manière positive. Pour beaucoup, aujourd’hui, la reconnaissance passe aussi par un droit politique que leurs parents méritent autant que tout autre acteur de la reconstruction du pays et de son développement économique. Ce sentiment discriminatoire est également lié au chômage dont ils sont aussi victimes et qui les place dans une position de vulnérabilité que leur statut d’enfants issus de l’immigration fragilise d’emblée.

Femmes multiples

Construire son identité avec ces différentes facettes est la base d’une bonne intégration. Valoriser la culture de chacun et lui offrir un espace d’expression ne peut que favoriser une entente cordiale. Beaucoup de jeunes filles issues de l’immigration désirent garder les valeurs que leurs mères et leurs grands-mères leur ont léguées: virginité, mariage… Celles-ci désirent respecter ces rites tout en aspirant, dans le même temps, intégrer l’université et plus tard réaliser un mariage d’amour. Chacun défend ses valeurs et les érige en vérité absolue. Est-ce une raison pour établir une échelle parmi celles-ci? Notre société est riche de ses cultures multiples, oeuvrons tous ensemble pour les préserver.

MALIKA MADI

Malika Madi est une romancière belge d’origine algérienne. Parallèlement à son travail d’auteur, elle anime des ateliers d’écriture et des conférences. Dans le cadre du projet «Ecrivain à l’école», elle a rassemblé les témoignages de jeunes sur leur perception de l’Autre. Ces témoignages ont servi de point de départ et de matière première à la rédaction de l’ouvrage «Je ne suis pas raciste mais …» coécrit avec Hassan Bousetta (avec la collaboration d’Anne Morelli).


2 comments:

Anonymous said...

Bravo à toutes ces femmes qui, souvent de manière silencieuse et solitaire, ont apporté leur soutien à leur famille expatriée.

Anonymous said...

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